Des vivants met en images les mots d’un des premiers réseaux de la Résistance. Chaque phrase de ce roman graphique atypique fut écrite ou prononcée.
Ils et elles s’appelaient Paul Rivet, Yvonne Oddon, René Creston, Jacqueline Bordelet, Germaine Tillion, Agnès Humbert, Anatole Lewitsky, Boris Vildé, Jean Cassou, Gisèle Joland… Vingt purs héros de la Résistance française, membres du réseau dit du Musée de l’Homme, l’un des premiers à s’être mis en place, à avoir essuyé les plâtres et à avoir dit « non » à l’envahisseur allemand, au régime de Vichy et aux théories raciales et eugénistes. Une résistance qui ne date d’ailleurs pas de la guerre: dès 1934, quatre ans avant de créer et d’ouvrir le Musée de l’Homme, l’ethnologue Paul Rivet fondait déjà le comité de vigilance des intellectuels antifascistes. Et en 1940, il placardait à l’entrée du musée le poème If de Rudyard Kipling pour protester contre l’armistice signée par Pétain. Un acte de résistance qui fédérera autour de lui collègues, scientifiques et gens de culture et générera bien d’autres actes héroïques: filières d’évasion et d’hébergement clandestin de soldats et de juifs, filière d’informations pour exilés de Londres, actes de propagande et création du journal clandestin Résistance dès décembre 1940.
Un groupe de résistants admirable de spontanéité dans l’indignation et l’action, qui ne restera hélas pas longtemps impuni. Dès 1941, une partie de ses membres serront arrêtés, sept hommes seront exécutés, quatre femmes déportées… Des héros, tous morts aujourd’hui, mais pourtant « des vivants » comme les nomment les auteurs de ce roman graphique aussi émouvant qu’atypique malgré les apparences; car ici, il n’est pas question de fiction, mais de reconstruction, puisque chaque phrase prononcée ici le fut réellement.
Fidèle et solennel
C’est ce parti pris radical, et « plus moral que technique« , qui est à l’origine du projet, et qui aura demandé des mois de recherches documentaires à ses deux scénaristes, la metteuse en scène Louise Moaty et l’écrivain Raphaël Metz (longtemps directeur de la revue Le Tigre), soucieux de « questionner le genre et la représentation« , mais aussi de « rester fidèle à la parole de ces hommes et de ces femmes, et à l’émotion intense qu’il existe dans le fait d’entendre quelqu’un qui a survécu raconter ce qui s’est passé« . Tous les textes repris dans Des vivants sont issus de textes, interviews, entretiens et publications effectuées par les protagonistes du réseau, avant, pendant et après la guerre, pour ceux qui y auront survécu. Une méthode jamais utilisée qui ajoute une charge émotionnelle très forte à la lecture mais aussi, parfois, beaucoup de lourdeur et de solennité à des scènes aux dialogues artificiels. N’empêche: ce roman graphique-là, capable aussi de poésie sous le dessin et la trichromie inventive de Simon Roussin, se distingue clairement du lot des « récits de résistance » qui se multiplient en BD ces dernières années.
Des vivants
Mémoire. De Simon Roussin, Louise Moaty et Raphaël Meltz, éditions 2024, 254 pages. ***(*)
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